Partant des observations empiriques et de l’analyse économique de Rueff (1925, 1931) concernant le chômage anglais des années 1920, cet article montre que l’auteur distinguait : [a] un chômage « permanent » attribuable à un excès des salaires réels par rapport au rendement du travail (« loi de Rueff »), [b] un chômage « temporaire » attribuable à une baisse de l’activité économique liée à une diminution cyclique des prix, enfin [c].un chômage «minimal» de type frictionnel prévalant dans le fonctionnement normal de l’économie. Au total, Rueff a produit sur l’analyse du chômage plus un résultat empirique nouveau (« loi de Rueff ») qu’une idée ou une méthode d’analyse pouvant être qualifiée de nouvelle. La confrontation entre la contribution de Rueff et les analyses postérieures du chômage dans la littérature permet de dégager que : (i) la courbe de Phillips et son extension avec le NAIRU est un non-héritage ; (ii) la courbe des salaires (« wage curve ») s’accorde avec les idées de Rueff tout en constituant un intéressant complément à la dite « loi de Rueff » ; (iii) l’équation proposée par Allais pour expliquer le chômage français se décalque très bien sur les trois types de chômage [a], [b] et [c] distingués par Rueff; (iv) bien qu’étant aujourd’hui délaissée, la théorie des équilibres temporaires à prix fixes inclut le chômage de type [a] considéré par Rueff, ceci que l’on regarde le régime de chômage « classique » ou celui de chômage « keynésien » ; (v) la nouvelle micro-économie keynésienne du travail montre qu’un chômage de type [a] peut être expliqué par le comportement rationnel des agents sans faire intervenir des rigidités exogènes imposées par l’Etat ; ce résultat généralise l’idée d’un chômage de type [a] mais constitue une réfutation de la possibilité admise par Rueff d’un équilibre concurrentiel pouvant se réaliser sur le marché du travail en l’absence de rigidités exogènes; (vi) dans l’optique des fondements microéconomiques de la macroéconomie, le modèle de concurrence imparfaite WS-PS traduisant la négociation entre salariés et employeurs s’accorde avec les trois types de chômage [a], [b] et [c], au point où l’on peut y voir une synthèse structurée et rigoureuse rejoignant Rueff et Allais, sauf que - et ce n’est pas un détail - l’équilibre concurrentiel ne correspond pas ici à un état naturel du marché en raison de l’existence de rigidités pouvant être à la fois de nature exogènes et endogènes.Finalement, le lien entre Rueff et les approches néokeynésiennes n’est pas très étonnant, car la « Théorie Générale » d’après laquelle la rigidité des salaires joue un grand rôle dans l’explication du chômage a été publiée 11 ans après l’article signé par Rueff en 1925 : il est difficile de penser que Keynes n’ait pas été marqué par les résultats présentés par Rueff. Chez ce dernier comme chez ses successeurs, on trouve la préoccupation essentielle de prendre en compte les rigidités du monde réel sans pour autant abandonner l’hypothèse de comportements rationnels et la référence à l’équilibre.